« Monsieur va vous recevoir, mademoiselle Lind. » Le sourire chaleureux du serviteur ne permit pas à la jeune femme de se détendre. Elle se contenta de lui répondre par un sourire timide et bref avant d'aller s'installer sans un mot sur le siège qu'il venait de lui désigner. Voilà dix années qu'elle n'avait pas mis les pieds ici, comme la grande majorité des habitants de ces contrées. Son émerveillement était allé croissant depuis son arrivée mais à présent l'appréhension avait repris possession de son esprit. Elle avait avait entrepris un voyage exaltant pour cette éprise de liberté et pourtant malgré l'euphorie de l'expédition, elle n'avait pu faire taire la petite voix dans sa tête qui ne cessait de lui répéter « Pourquoi ? » Pourquoi après dix ans la rappelait-on ici alors que d'ordinaire cet honneur n'était destiné qu'à une poignée d'élus ? Déboussolée, elle se leva et commença à faire les cents pas dans la pièce, fascinée par la splendeur des dorures et des tentures. D'ordinaire, elle n'était pas de celles à s'extasier sur les belles peintures et les meubles somptueux, elle n'était pas de celles à apprécier les superbes demeures, préférant l'air des grands espaces et la voûte verdoyante des forêts. Faiseor était à ce titre la plus merveilleuse des contrées, elle aimait s'y promener et admirer les paysages grandioses qui s'offraient à elle. Vivant à une journée de là, dans la belle contrée d'Eventyr, elle ne pouvait se rendre que très rarement ici mais elle redécouvrait à chaque fois ces paysages vallonnés avec le même émerveillement. Et toujours, elle faisait une halte pour admirer de loin le palais qui surplombait les plaines de Faiseor, majestueuse forteresse qui inspirait autant le respect que le ravissement. Elle n'y était venue qu'une seule et unique fois. Elle y était entrée sous la forme d'un minuscule rossignol au plumage gris et en était alors ressortie sous la forme qu'elle possédait à présent, celle d'une superbe jeune femme aux boucles ébènes et aux yeux clairs. Comme le temps avait passé songea-t-elle avec une pointe de mélancolie douce-amère. Perdue dans ses contemplations et dans ses pensées nostalgiques, elle n'entendit pas immédiatement la porte derrière elle s'ouvrir. « Petit oiseau, te voilà. As-tu fais bon voyage ? » La jeune femme se retourna vivement, peut-être même un peu trop vivement, pour faire face à l'homme qui venait d'entrer. Ils étaient rares ceux à l'affubler de ce petit nom. Personne ne connaissait ce surnom en dehors de ceux qui avaient longtemps partagé son histoire et celui qui leur avait donné vie. Et voilà que le grand Hans Christian Andersen lui faisait face, souriant et chaleureux comme elle s'en souvenait. Stupéfaite, la jeune fille se rassit, incapable de prononcer le moindre mot.

« Comme tu as changé ! » commença Andersen avec un sourire sincère. « Tu n'étais qu'une toute jeune fille lorsque tu as quitté ces lieux la première fois. » « J'avais dix-sept ans. » acheva-t-elle, la voix rauque. Avant d'être une jeune demoiselle de dix-sept ans à peine, elle avait surtout été un rossignol se souvint elle avec nostalgie. Un petit oiseau qui avait fait de la forêt sa demeure et qu'on avait vainement essayé de mettre en cage. Le conteur avait fait d'elle un symbole de liberté, valeur si chère à leurs cœurs à tous deux. Et cette liberté elle avait parfois la sensation de l'avoir perdue depuis longtemps. Andersen s'installa face à sa création posant sur elle un regard bienveillant tandis qu'elle semblait incapable de le quitter des yeux. Grands dieux, il paraissait encore plus grand qu'autrefois ! Alors qu'elle faisait son possible pour ne pas se ratatiner sur place. « Pourquoi m'avoir fait venir, monsieur Andersen ? Non pas que je ne me sente pas honorée de cette invitation. » ajouta-t-elle précipitamment. « Mais je sais à quel point il est rare que vous receviez du monde, alors je m'interroge. » « Tu es aussi curieuse et vive d'esprit qu'elle l'était. » lança alors Andersen avec un sourire attendri. « Était ? » Harmonie leva un sourcil. « Qu'est-elle devenue, celle qui vous a inspiré ma création ? Jenny Lind. » Elle avait murmuré ce nom dans un souffle à peine audible, il sonnait avec tant de familiarité en elle, comme celui d'une sœur, d'une vieille amie perdue de vue depuis longtemps mais qui jamais ne quittait son cœur. En vérité elle ne l'avait jamais rencontré, était bien incapable de dire à quoi elle pouvait ressemblait et plus incapable encore de définir quelle femme elle était. Pourtant depuis toujours, même lorsqu'elle était prisonnière de son histoire, elle éprouvait une tendresse sincère pour Jenny Lind. Elle savait qu'elle n'aurait jamais vu le jour si la cantatrice n'avait pas existé. Mais elle n'aurait bien évidemment pas existé sans l'esprit vif et créatif de Hans Christian Andersen pour qui elle ressentait à ce titre une tendresse plus forte encore mêlé d'un respect craintif. Elle regrettait d'ailleurs d'avoir posé une question quelconque à propos du « rossignol suédois » à présent qu'elle voyait un sourire mélancolique traverser le visage du conteur. « Je n'en ai pas la moindre idée. Voilà bien des années que je ne l'ai pas revue, elle est mariée et très certainement heureuse. Voilà tout ce qui compte, n'est-ce-pas ? » Son sourire redevint plus chaleureux mais cela n'effaçait pas la gêne d'Harmonie. « Et toi, petit oiseau, es-tu heureuse ? » La question tomba tel un couperet pour la jeune femme qui se trouva bien incapable de répondre quoique ce soit. « Tu te doutes bien que je ne t'ai pas fait venir jusqu'ici pour parler d'un temps révolu. En vérité Harmonie, je suis inquiet. On m'a rapporté que tu n'étais plus aussi insouciante et joviale que par le passé. Certains viendraient même à penser que tu es devenue...triste. Je me demande donc si tu es heureuse de ta condition. » « Je suis parfaitement heureuse, monsieur Andersen. Ma vie me comble autant que celle que j'avais autrefois. » répondit aussitôt Harmonie sans qu'elle ait pris la peine de réfléchir.

C'était un mensonge éhonté. Autrefois elle fut libre et quand on avait essayé de l'enfermer, elle s'était battue pour retrouver cette liberté si chère à son cœur. Devenue humaine, elle avait tout d'abord continué à mener son existence comme bon lui semblait. Elle avait retrouvé ses chers bois dans lesquels elle chantait à longueur de nuit. Ceux qui l'entendaient la priaient souvent de rejoindre la civilisation afin d'offrir à tous cette voix mélodieuse que lui avait donné le Créateur. Poliment, elle refusait à chaque fois, préférant l'ombre des arbres et le secret des nuits pour se représenter. Mais un beau jour elle pris conscience que humain et rossignol ne pouvait vivre de la même manière. Autrefois, elle vivait d'amour et d'eau fraîche, devenue humaine elle se devait de gagner sa vie pour survivre. Elle se décida alors à rejoindre la capitale d'Eventyr où elle commença à se produire. Le public venait de loin pour l'entendre chanter chaque soir. Et très vite la routine s'installa, elle avait la sensation de ne chanter désormais que dans l'unique but de gagner sa vie. Le chant n'était dès lors plus un plaisir mais une contrainte. Elle reproduisait le triste schéma de son histoire. Mais autrefois, Andersen l'avait pourvue d'ailes qui lui avaient permis de s'échapper de sa cage restée ouverte. A présent, elle n'avait plus d'ailes pour fuir et sa cage était désormais de la taille du monde. Non, elle n'était pas heureuse, mais cela elle se refusait à l'admettre face à cet homme qui avait tant fait pour elle. Elle avait envie de se jeter à son cou et de lui hurler cette triste vérité, de le supplier de lui rendre sa vie d'autrefois mais elle savait cela impossible. Alors, elle préférait se taire plutôt que de causer inutilement du chagrin à celui qu'elle aimait comme un père. « Je vous assure que je suis heureuse ! Comment ne pas l'être ? Vous m'avez tant offert, monsieur. Je serais la dernière des ingrates si je n'étais pas heureuse de la vie que vous m'avez donné. » Je suis la dernière des ingrates, songea-t-elle avec amertume. « Je ne sais d'où vous tenez de telles informations mais cela me chagrine qu'on vous ait ainsi inquiété. Les gens ne savent jamais ce qu'ils disent et ne peuvent pourtant s'empêcher de parler. » acheva-t-elle avec une pointe d'orgueil qu'elle peinait à dissimuler et qui n'échappa aucunement à son créateur. « Si je t'ai offert les qualités de Jenny, il semblerait que tu ais hérité de mes défauts, mon petit oiseau. » Il semblait presque désolé ce qui étonna grandement la jeune femme. Et avec du recul, elle ne pouvait s'empêcher de croire qu'il n'était pas si éloigné de la réalité. Susceptible, dotée d'un orgueil à toute épreuve, Harmonie était aussi en dehors de bien des réalités et se laissait facilement aller à la mélancolie. Tous ses défauts elle les avait hérités de lui. Oui, s'il l'avait façonnée en l'honneur de la belle Jenny Lind, il l'avait malgré lui créée à son image aussi. Tous deux se ressemblaient plus qu'Harmonie n'aurait jamais osé le penser. Et elle comprit alors qu'il lui serait bien difficile de lui mentir continuellement. Ses mensonges à elle étaient aussi les siens. « Tu sais que tu ne peux plus reculer, ta condition de rossignol est derrière toi. Tu te dois de te faire à cette vie humaine mais je ne supporterais pas que tu en restes prisonnière. L'humain aussi peut rêver de liberté, je crois que tu l'as oublié depuis longtemps. Tu es née libre, Harmonie. Tache de le redevenir, petit oiseau. Nous n'avons pas tous besoin d'ailes pour voler. » La réflexion fit sourire la jeune femme, un sourire sincère et mélancolique qu'elle adressa à son créateur. Il lui serait sans doute difficile de redevenir la jeune femme libre qu'elle était au commencement de son existence mais elle devait faire son possible pour retrouver ces ailes qu'elle avait visiblement brûlées depuis si longtemps.

J'aime beaucoup ta relation avec Andersen, Edgar en serait presque jaloux J'ai très hâte d'écrire avec toi ! Félicitations

Bienvenue à l'Atelier des Contes ! Tu t'apprêtes à explorer ce monde merveilleux et enchanté que t'ont écrit tes créateurs. Avant cela, quelques petits détails restent à fignoler avant de t'envoyer dans l'inconnu. Il te faudra recenser ton habitation juste ici et ton métier, si métier tu as et, pour cela, nous t'attendons ici !    Il se peut, qu'au cours de ton aventure, tu remarques l'absence d'un personnage. Peut-être que ton Créateur n'a pas encore trouvé le bon moment pour l'introduire dans ce monde... Tu peux faire ta demande ici, en créant un scénario. Enfin, il ne te reste plus qu'à créer ton registre de RP par là, histoire que tout le monde s'y retrouve, et ton registre des liens ici. Et te voilà prête, ô noble créature, à parcourir les contrées de l'Atelier des Contes !